Frantisek ZVARDON, photographe lauréat de nombreux concours et prix internationaux. Auteur de plusieurs ouvrages dont Ethiopie
Bernard REUMAUX, éditeur (entre autres La Grâce des cathédrales), Président de l’Académie d’Alsace des Sciences, Lettres et Arts
Photo : R. Ries, ancien maire de Strasbourg, parraine le Grand Prix de l’Académie d’Alsace remis à F. Zvardon par B. Reumaux.
Acte I – Déconfinement
[ Décor extérieur : une perspective strasbourgeoise (solennelle avenue, à la fois germanique et parisienne, sans fin dirait-on). Décor intérieur : un appartement vénitien (tableaux, lustres, étoffes, mille traces d’histoires vécues). Personnages : ils sont deux, assis dans des fauteuils de velours vert, même âge, complices. Côté cour, il y a Frantisek Zvardon, photographe bourlingueur couvert de prix et d’honneurs, cinq décennies de pratique sur tous les continents, cherchant la majesté de la Création dans les paysages comme dans les visages ; côté jardin, c’est Jean Hurstel, photographe depuis sept trimestres seulement. Nous sommes chez celui-ci. ]
FRANTISEK – Jean, tu es passionné de cuisine, un art ô combien éphémère, difficile à fixer. J’ai l’impression que tes photos veulent certes percer le secret de ces étranges alchimies, mais surtout fixer le temps et inviter au rêve.
JEAN – J’ai commencé ce travail pendant le premier confinement, au printemps 2020. J’adore cuisiner et depuis un moment je pratiquais la macrophotographie en extérieur (plantes, insectes). J’ai eu envie de croiser ces deux passions. Ma toute première expérience : photographier l’infime zone de contact entre le jaune et le blanc d’un œuf cru. L’apport de lumière, selon certains angles, m’a révélé un spectre de couleurs, de réactions, qui m’ont fasciné. Je n’ai pas arrêté depuis. J’en suis à peut-être six cents scènes différentes, d’intérêt inégal certes, mais chacune ouvrant à un mystère, à un émerveillement.
FRANTISEK – Dans le noir de ton studio, avec des lumières braquées tels des soleils sur tes minuscules mises en scène, tu révèles des mondes insoupçonnés. Tu sais que j’ai beaucoup photographié les aurores boréales du Grand Nord, la magie fugace des diffractions de la lumière, eh bien, je découvre les mêmes tourbillons, les mêmes éclats improbables de couleur dans tes explorations du cœur de nos aliments. Tu nous confirmes que l’infiniment grand est dans l’infiniment petit.
JEAN – J’ai essayé de trouver le bon niveau d’agrandissement, à la limite extrême de la reconnaissance de l’aliment photographié. Là est mon défi artistique et technique, là est peut-être ma petite touche personnelle dans le maelstrom vertigineux des créations photographiques.
Aurores boréales
Acte II – Exploration
[ Même décor, mêmes personnages. Seul changement : ils sont passés du café au spritz. ]
FRANTISEK – Tu travailles la technique, tu as dompté les outils, le « focus stacking » (NB : maîtrise de la profondeur de champ) n’a pas de secret pour toi, tu te documentes, tu observes ce qui se fait, tu es attentif aux réactions de tes premiers publics, tu ne restes pas dans ta bulle, dans ton atelier. Comme un artiste de la Renaissance italienne…
JEAN – J’ai longtemps travaillé dans les affaires, j’aime quand ce que l’on produit trouve son public, suscite l’intérêt, innove. Je ne veux pas être un dilettante, je sais que j’ai un chemin à tracer, une exploration à accomplir. Peut-être en raison de mon âge, je suis sensible aux effets du temps sur la matière vivante. J’aime bien, par exemple, fixer chaque jour l’évolution d’un aliment sous mon objectif. Tu n’imagines pas la beauté du flétrissement à l’œuvre, le somptueux bleu turquoise des germes apparaissant sur une fraise qui s’éteint !
FRANTISEK – Tu les aimes, ces produits dont tu explores les entrailles !
JEAN – Oui, j’ai une infinie tendresse pour ces aliments que je triture, que j’assemble, dont je fixe les transformations. Je ne cuisine plus pareil depuis. Quand j’ai décortiqué et tranché un potimarron, je mets de côté les déchets pour les ausculter, les magnifier, les révéler dans mon viseur. Je savais que la pratique photographique permettait de regarder autrement le monde, de l’aimer. Pour tous ces aliments qui nous nourrissent et nous enchantent, que la nature et la main de l’homme mettent à notre disposition, j’ai le sentiment d’accomplir une œuvre de reconnaissance. Mon travail minutieux, obstiné, est fait de respect et d’admiration. Source d’une joie infinie.
[ Nos deux explorateurs d’aurores boréales – celles du vaste monde pour l’un, celle des entrailles du vivant pour l’autre – continuent à bavarder. Laissons-les et retenons leur message : la photographie ainsi pratiquée est une sagesse, un humanisme. ]
Propos recueillis par Bernard Reumaux, éditeur d’art, journaliste,
président de l’Académie d’Alsace des sciences, lettres et arts
dont Jean Hurstel est le secrétaire général.
Touts droits réservés
Ce site n’utilise pas les cookies. Hébergeur : Nuxit. Webmaster : Jean Hurstel (contact).
Les photographies sont proposées dans un format adéquat. Vous pouvez cependant choisir un format différent. Ignorer